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Dans de petits villages du Donbass, une poignée d’Ukrainiens tentent de survivre dans des conditions précaires: “Ce que font les Russes m’attriste”


Dans le petit village de Kamyanka, situé à la frontière entre les régions de Doneskt et de Kharkiv, les chemins sont verglacés, personne n’est venu y verser de sel pour la trentaine d’habitants restés sur place. Il est alors plus prudent de se rendre à pied dans le creux du village, malgré les mines toujours présentes sur les bas-côtés. Dans le bas de la bourgade, le portail d’une maison a été remplacé par des boîtes de munitions. Des sacs de briquettes et du bois envahissent l’entrée tandis qu’une bâche bleue dissimulée sous une fine couche de neige fait office de toit. C’est la maison de Viktor, 72 ans, qui, malgré la destruction de sa demeure par des bombardements, est revenu vivre dans son village natal. “Quand je suis rentré chez moi au mois de septembre 2022, tout était détruit, ce que j’ai construit toute ma vie… Il n’y avait même plus de toit ! Ce que font les Russes m’attriste”, confie le vieil homme.

Notre reportage au plus près des combats dans le Donbass : “Tout le monde nous a oubliés, même Dieu. Notre seul but, c’est de survivre”

Lorsque Kamyanka était sous occupation russe de mars à septembre 2022, Victor et son fils ont évacué vers un village voisin. Ce dernier est maintenant parti vivre avec sa sœur, à Izium, situé à 46 km tandis que Viktor a choisi de rentrer chez lui pour tout reconstruire, malgré son âge. “Il a fallu d’abord tout nettoyer, puis j’ai enduit les murs, repeint et j’ai réparé un peu le toit ; j’essaie de faire le plus possible et parfois, mon fils m’aide un peu”, explique-t-il.

Un poêle à bois pour survivre

Assis sur son lit, cigarette à la main, il fixe son poêle à bois qui depuis quelques jours n’évacue plus très bien la fumée alors que c’est le seul moyen dont il dispose pour se chauffer. Il n’y a plus d’eau courante, de gaz et électricité depuis plus d’un an. “Je viens tout juste de commencer à réparer ce poêle car il y a maintenant de la suie sur le mur. Je pense qu’une brique a dû tomber dans l’évacuation après un bombardement”, se désespère-t-il.

Viktor, 72 ans, monte dans son toit pour vérifier ce qui bloque l'évacuation de la fumée de son poêle à bois.
Viktor, 72 ans, monte dans son toit pour vérifier ce qui bloque l’évacuation de la fumée de son poêle à bois. ©Virginie Nguyen Hoang / HUMA

Debout depuis six heures du matin, il passe ses journées à réparer sa maison pour garder le plus de chaleur possible et retrouver une vie plus ou moins normale. Il reçoit des briquettes de volontaires ainsi que de la nourriture, tandis que l’administration de la région de Kharkiv lui a livré du charbon, rien de plus. La priorité est de reconstruire les villes, les villages passeront après. Pour Viktor, sans son poêle à bois, il serait impossible de vivre chez lui cet hiver : ses fenêtres sont fermées par des panneaux de bois, tandis que la bâche sur son toit laisse passer l’air froid dans toute la maison. “Le plus dur c’est la solitude, je dois trouver les moyens de me réchauffer seul. J’utilise les briquettes et le charbon, mais il est également nécessaire de couper des copeaux de bois pour allumer le feu, alors je coupe ce qu’il me reste des débris de la maison”, raconte Viktor.

Pour prendre une douche, le vieil homme doit se rendre en bus jusqu’à Izium où habite sa fille. “Mon souhait le plus cher maintenant, c’est d’avoir un toit, car si le vent se lève, tout s’envolera. Mais ici, c’est ma maison, ma terre natale et j’y reste. Je m’y sens libre alors que dans un appartement je me sentirai restreint”, affirme-t-il avant de partir enfiler ses habits de travail et de monter sur son toit afin d’identifier ce qui bloque l’évacuation de son poêle.

Le froid ou ne pas s’intoxiquer

À 80km plus au sud, les organisations volontaires “Motanka” et “Dobrochynets” viennent d’arriver dans la ville de Siversk après plus de deux heures sur les routes verglacées du Donbass. Elles viennent apporter vêtements chauds, médicaments et briquettes aux habitants oubliés de cette ville quotidiennement pilonnée depuis presque deux ans. Il n’y a plus de gaz, d’électricité ni d’eau courante, la majorité des habitants vivent terrés dans leurs sous-sols et eux aussi, n’ont que des poêles à bois de fortune pour se tenir au chaud.

Coincés entre les soldats russes et les troupes ukrainiennes, une poignée d’habitants pauvres de cette petite ville du Donbass survivent tant bien que mal depuis un an, terrés dans des caves.

Dès l’arrivée des volontaires devant un grand bâtiment aux fenêtres éclatées, une poignée d’habitants sortent de leurs tanières. Tout le monde s’empresse de décharger les briquettes tandis que deux autres volontaires s’enfoncent dans un souterrain pour y amener une veste chaude et des béquilles à Ludmilla, 90 ans, planquée dans sa cave depuis 2 ans avec sa fille et son petit-fils. La vieille dame accueille chaleureusement l’aide apportée dans la petite pièce sombre où outils, machine à laver, bibelots et poêle à bois se mêlent aux matelas entreposés à terre.

Dans la ville de Siversk, les volontaires des ONG Motanka et Dobrochynets distribuent des médicaments aux habitants qui vivent depuis 2 ans sans électricité, eau et gaz.
Dans la ville de Siversk, les volontaires des ONG Motanka et Dobrochynets distribuent des médicaments aux habitants qui vivent depuis 2 ans sans électricité, eau et gaz. ©Virginie Nguyen Hoang / HUMA

Dans le fond de la cave, Kirill, son petit-fils, s’empresse de récupérer les cartons d’emballage des béquilles pour raviver le feu du poêle à bois. L’extraction de la fumée ne se fait pas complètement, ici il faut jongler avec le froid et ne pas s’intoxiquer. Alors que la nuit commence à tomber, les bombardements russes se font entendre. Pas le temps de discuter, les volontaires doivent terminer la distribution de médicaments et de briquettes avant que les frappes s’intensifient. Svetlana, la fille de Ludmila âgée de 60 ans, remercie encore les visiteurs tout en s’exclamant : “Ici, ce sont les catacombes ! ”. À Siversk, les quelque 800 habitants restant reçoivent des vivres de l’administration régionale, mais l’acheminement de ressources énergétiques manque, aggravé par les conditions climatiques qui rendent les routes quasi impraticables.

Bohorodychné, le village isolé de tout

Un peu plus au nord de la région de Donetsk, Bohorodychné ressemble lui aussi à un paysage apocalyptique. L’église de la Bienheureuse Vierge Marie, au centre du village, a son dôme complètement éventré. Les vestiges de maisons défilent au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans ce petit hameau qui ne compte plus qu’une trentaine d’habitants sur les 800 d’avant-guerre. Libéré complètement des Russes fin août 2022, Bohorodychné est passé des mains ukrainiennes à celles des Russes à quatorze reprises.

Le village de Kamyanka s'est transformé en paysage post-apocalyptique.
Tout comme celui de Bohorodychné, le village de Kamyanka s’est transformé en paysage post-apocalyptique. ©Virginie Nguyen Hoang / HUMA

Mykolaï, 59 ans, et sa mère, décédée de vieillesse l’été dernier, sont les seuls à avoir vécu et survécu à l’occupation. Sorti de sa petite maison d’à peine 10m2 dont le toit est un bric-à-brac de tôle et planche en bois, celui-ci s’en va saluer son voisin en descendant prudemment les quelques marches verglacées de sa cour. Vladymyr, le voisin de 74 ans, est revenu dans le village avec son épouse, Raïsa, après la libération.

Dans un village de la région de Kherson, les enfants ont repris les cours sur les bancs d’une école en ruine.

Comme Viktor à Kamyanka, les trois amis passent leurs journées à réparer leurs maisons, s’approvisionner en bois et en nourriture. Un quotidien orchestré par la survie. “Il n’y a plus de toit nulle part, tout est parti avec les bombardements. Nous avons acheté du film polyéthylène et de l’ardoise pour couvrir les fenêtres et l’administration locale nous a donné des bâches pour recouvrir le toit”, décrit Vladymyr. Le reste de l’aide est acheminé par des volontaires, tel que des couvertures ou briquettes pour combattre le froid. “Nous sommes très reconnaissants. Nous avons chaud grâce à eux, bientôt on se croira au Tadjikistan ! ”, rigole Vladymyr, en faisant également rire son voisin.

Mykolaï, 59 ans, devant sa petite maison. Celui-ci a survécu à 3 mois d'occupation et de bombardements. Il s'occupe maintenant de réparer sa maison et celle de sa mère.
Mykolaï, 59 ans, devant sa petite maison. Celui-ci a survécu à 3 mois d’occupation et de bombardements. Il s’occupe maintenant de réparer sa maison et celle de sa mère. ©Virginie Nguyen Hoang / HUMA

Mais le froid pose un autre problème aux habitants de Bohorodychné ; le seul ponton les reliant à la ville de Sviatohirsk, de l’autre côté de la rivière Donets, n’est plus praticable. Selon Mykolaï “un gros bloc de glace l’aurait cassé en deux”. Ce ponton remplaçait le pont détruit par les Russes qui liait les deux rives. “Ce ponton était important pour nous rendre à la pharmacie, à l’épicerie ou recevoir nos pensions, explique Vladymyr, maintenant nous recevons de la nourrir des volontaires de Sviathohirsk qui nous livrent tous les jours des plats chauds. Ils les descendent à l’aide d’une corde depuis le haut du pont et nous les récupérons en bas”. Une aventure quotidienne qui n’est pas sans danger car il faut traverser la rivière en chevauchant un petit pont de bois, lui aussi à moitié détruit et inondé. “Les gens de l’Union soviétique peuvent tout faire ! ”, plaisante encore Vladymyr.

Bien que les deux voisins ne se plaignent pas de leur situation, l’énergie reste toujours le même problème. Sans infrastructures fonctionnelles dans la région, Vladymyr, Raïsa et Mykolaï dépendent de l’aide humanitaire pour s’approvisionner en batteries et lampes fonctionnant à l’énergie solaire pour s’éclairer ; et en briquettes pour se réchauffer au poêle à bois. Pour l’eau, ils puisent dans un puits et la réchauffent s’ils veulent se laver. “Tout ça, c’est devenu normal pour nous. Le plus important, c’est que nous vivons sur nos terres que nous aimons. Et ça, ça vaut de l’or ! ”, se réjouit l’inoxydable Vladymyr.



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Written by elitebrussels

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