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Je n’arrive plus à vivre ma mission de curé dans la joie. Elle m’écrase, me tue à petit feu. J’ai vraiment peur de m’effondrer



Je prends le temps ce soir de vous partager ma détresse, ma peur de craquer, ma peur de ne plus pouvoir assumer le job de curé…

Je n’arrive plus à vivre ma mission dans la sérénité, dans la joie. Je me sens seul dans cette responsabilité. Elle m’écrase, me tue à petit feu, et cela depuis maintenant de longs mois. J’ai vraiment peur de m’effondrer. […]”

Rédigé dans la soirée du samedi 8 juin, Jean Dewandre, curé des paroisses de Trois-Ponts et de Stoumont a envoyé ce mail à tous ses paroissiens, juste avant les messes du lendemain matin. Sous les clochers d’Ardenne, ce fut une secousse. Mais le prêtre poursuivait.

Alors, avant que cela n’arrive, […] je dois prendre des décisions. […] Je ne suis pas prêt à une vie d’homme et de prêtre au rabais ! Donc, je prends le taureau par les cornes ! Oui, je désire continuer à vivre ici, avec vous, mais plus comme ça. Ma présence à vos côtés est liée à notre capacité à porter la responsabilité de nos paroisses en équipe. J’ai besoin de quelques personnes (4-5) qui seraient disponibles trois heures tous les quinze jours pour coordonner avec moi la vie de nos paroisses, non pas pour tout faire, mais pour veiller à ce que ‘tout se fasse’. […] J’ai besoin de personnes qui sont désireuses de penser l’avenir, le proche, mais aussi à cinq ans et même à dix ans, avec tout ce que cela peut amener comme peur, joie, questionnement… J’ai besoin de personnes qui acceptent de faire équipe, dans la confiance, la bienveillance, la confrontation constructive. Je rêve de ce Win/Win où je peux rester au milieu de vous, où je peux déployer mes talents créatifs et relationnels, et où vous pouvez m’aider dans tout le côté organisationnel et administratif qui me rend beaucoup plus fragile. […]”

“Dieu, c’est un peu notre meilleur ami caché”

“Je ne suis pas le plus organisé”

À Trois Ponts, il faut lever les yeux. Le village, développé dans les années 70 aux carrefours de rivières, de rails et de routes, ne paye pas de mine. Seules les collines environnantes laissent percevoir la beauté des vallées qui s’engagent vers Stavelot, Coo, Vielsalm et Basse Bodeux. Sur les coteaux, à hauteur de forêts, le presbytère profite de la vue mais joue des coudes, coincé entre l’église Saint-Remacle et l’institut Saint-Joseph. Ce n’est pas grave. Jean Dewandre, le curé, est un homme de relations.

J’ai besoin d’être avec d’autres, de partager les responsabilités, de discuter les décisions, confie-t-il. J’ai toujours travaillé avec une équipe autour de moi. Quand je suis arrivé ici en 2019 pour y devenir curé, je n’ai pas su mettre sur pied une telle équipe de laïcs. J’ai cru que je pourrais tenir comme ça, mais je n’ai pas pu. Je n’ai décidément pas le profil d’un chef d’entreprise. Je ne suis pas le plus organisé ni le plus rigoureux…”

Voici deux ans que le prêtre sent sa passion s’étioler. Après une longue réflexion, de nombreuses discussions, le passage chez un ami psychologue, un dialogue avec son évêque et son vicaire général, il a souhaité être “vrai” et rédiger ce mail : “une étape difficile, mais indispensable. Je m’étais toujours promis de réagir avant qu’il ne soit trop tard”.

Le curé et le prêtre

Cette lettre, de nombreux curés (prêtres ayant la responsabilité de paroisses) pourraient la signer. Leur vie n’est pas simple. Jean Dewandre s’occupe de onze clochers et autant de communautés humaines à faire vivre, d’équipes de bénévoles à accompagner, de messes à célébrer, de rencontres de catéchisme sur lesquels veiller, de préparations au mariage ou d’enterrements à préparer, de liens avec les communes à tisser, de fabriques d’église (dont les membres sont vieillissants et toujours plus rares) à seconder… C’est une vocation gratifiante à bien des égards, mais un boulot de chef d’entreprise qui impose d’orchestrer les sensibilités humaines, et de mettre les mains dans le cambouis de la gestion matérielle et immobilière.

Une fois, j’ai osé dire à mon évêque que ma mission de curé me tuait dans ma vocation de prêtre. Je sens que cette partie décisionnelle et gestionnaire prend trop de place. Je suis sans cesse tiraillé entre le ‘faire’ et l’accompagnement humain qui me fait vivre. Je n’ai pas perdu la foi, mais même la prière est devenue compliquée. Ce n’est pas facile, ces derniers temps, pour moi, de prendre de véritables temps de silence.”

Ce tiraillement est institutionnel. Depuis des siècles, l’Église s’appuie sur le maillage territorial des paroisses devenu intenable aujourd’hui par manque de prêtres et de bénévoles. Elle ne peut cependant s’en défaire du jour au lendemain. L’écrasante majorité des jeunes prêtres sont donc appelés à la rescousse et deviennent curés pour tenir les clochers. “Mais il s’agit de deux vocations différentes. Avant, un prêtre pouvait devenir enseignant, aumônier, vicaire… en fonction de ses talents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de jeunes abandonner leur vocation de prêtre par peur de devenir curé.”

guillement

“Je n’ai pas perdu la foi, mais même la prière est devenue compliquée. Ce n’est pas facile, ces derniers temps, pour moi, de prendre de véritables temps de silence.”

Frapper dans le ballon

En 2016, Jean Dewandre participait à une enquête de son diocèse de Liège portant sur la santé mentale des prêtres. Tout n’était pas sombre, mais au vu de certains résultats inquiétants, le diocèse a lancé un “vicariat” consacré à l’accompagnement de ses prêtres. “C’est un service remarquable, notre diocèse est à la pointe en la matière”, se réjouit Jean Dewandre. Mais un service ne peut pallier toutes les difficultés ni résoudre l’ensemble des défis quotidiens. Comment rencontrer la douleur d’un prêtre qui ne voit plus les communiants ou les jeunes mariés, une fois la fête passée ? Que leur dire alors que des regards suspicieux se posent sur eux depuis les révélations concernant la pédophilie dans l’Église ? “Aujourd’hui, j’en arrive à ‘réfléchir’ avant de poser la main sur l’épaule ou la tête d’un enfant”, confie l’abbé de Trois-Ponts. Et comment déjouer la solitude de certains curés qui, après un chapelet de réunions ou de messes, se retrouvent seuls à l’heure du repas, face à leurs questionnements et les décisions à prendre ?

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À cet égard, Jean Dewandre envisage le célibat comme le socle de sa disponibilité. “C’est le sens que je lui donne. Pour autant, je ne le considère pas comme un absolu ; c’est une règle qui peut évoluer à mes yeux. Je me souviendrai toujours de jeunes gars qui étaient rentrés au séminaire avec moi, avant de buter sur la question du célibat et de changer de voie. J’en suis certain pourtant, ils auraient fait d’excellents prêtres.”

Pour que le célibat ne soit pas une épreuve, insiste-t-il, nous devons veiller à avoir une vie très équilibrée. J’ai des responsabilités dans la communauté Vivre et Aimer qui m’aident beaucoup. C’est un lieu de partage où je prends le temps de réfléchir, d’accompagner, de prier, de mettre des mots sur ce que je vis. Il y a la famille aussi, le rallye automobile, ma passion, ainsi que le volley que je pratique à Stavelot. C’est un rendez-vous hebdomadaire, un exutoire que je ne manquerais pour rien. La semaine dernière, j’ai dit à mes coéquipiers que j’allais gueuler, qu’ils ne devaient pas s’étonner. J’avais besoin de ‘maquer’ dans le ballon pour évacuer ma tension intérieure.”

guillement

“La semaine dernière j’ai dit à mes coéquipiers que j’allais gueuler, qu’ils ne devaient pas s’étonner. J’avais besoin de ‘maquer’ dans le ballon”

Ce 18 juillet, un mois après sa lettre, Jean Dewandre remerciait ses paroissiens pour les nombreux retours reçus et la proposition de six bénévoles de l’accompagner. La vie peut se poursuivre. Au mieux, espère-t-il. “Si je suis devenu prêtre, c’est parce que Jésus me touche profondément. J’aime sa manière d’être, de parler de son père, de regarder les gens. C’est cela que j’ai envie de vivre. Dimanche, je célébrais le baptême du petit Nathan. Je lui disais croire en ce Dieu qui vient dans nos vies pour nous révéler la merveille que nous sommes et souligner notre part de lumière. Vingt-cinq ans après avoir été ordonné, c’est aussi ce que je confierais à un jeune séminariste : va vers les autres, regarde-les comme Jésus les admire et, surtout, sois toi-même. Ce n’est pas toujours facile la vie de prêtre, moi-même, je traverse en ce moment une période compliquée, mais je sais qu’il y a un bonheur profond à vivre cette vie-là.”



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Written by elitebrussels

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