Le téléphone sonne et monsieur Zelentchouk décroche aussi vite qu’il le peut. Laisser croire qu’il est occupé ne lui vient pas plus à l’esprit que de faire attendre son interlocuteur, qui est d’ailleurs une interlocutrice : « Bonsoir, monsieur Zelentchouk. C’est Marie Latour, d’ElecOptima. – Marie Latour ? », fait Zelentchouk, étonné. Il connaît bien quelques Marie, mais aucune ne s’appelle Latour, à moins que l’une d’elles ait préféré abandonner son nom pour épouser un M. Latour. Ou bien serait-elle de la famille de ce Stéphane Latour, agent d’assurances ?
« Comment allez-vous aujourd’hui, monsieur Zelentchouk ? – Bien, madame Latour », répond Zelentchouk, même si cette réponse manque de nuance, puisqu’il a malgré tout quelques sujets de préoccupation, et il ajoute : « Etes-vous liée à Stéphane Lat… » Mais Marie Latour enchaîne aussitôt : « Je vous contacte car ElecOptima propose des forfaits très avantageux en matière d’électricité, grâce à un compteur intelligent. »
Zelentchouk oublie les Latour et s’émerveille devant la prouesse technique : « Un compteur intelligent ? – Absolument, répond Marie Latour, c’est un appareil qui enregistre votre consommation d’énergie et vous permet de la visualiser en ligne et en temps réel. » Voilà qui n’est pas si intelligent que ça, songe Zelentchouk, mais il ne veut pas contredire cette gentille femme, qui poursuit : « Grâce au compteur ElecOptima, vous pouvez planifier vos usages et modifier vos habitudes pour économiser de l’argent. »
« Modifier mes habitudes ? » Il en possède, bien sûr, comme celle de retirer ses chaussures lorsqu’il rentre chez lui, d’allumer la radio, ou de commencer toujours, sous la douche, par se laver les cheveux, lesquels se font plus rares avec les années. « Mais, madame Latour… ? – Oui, monsieur Zelentchouk ? – Si je modifie mes habitudes, est-ce qu’elles mériteront encore le nom d’habitudes ? », demande Zelentchouk inquiet. La femme, étonnée, marque un temps, avant de se ressaisir : « Etes-vous heureux du rapport que vous entretenez avec votre fournisseur d’énergie ? »
« Bonheur »
Heureux ? L’adjectif n’est-il pas excessif ? Lui est-il un jour arrivé, à la lecture d’une facture, de sentir qu’il se rapprochait du bonheur ? D’ailleurs, il ne saurait trop le définir. Pour Confucius, le bonheur n’est pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir. Zelentchouk n’en est pas moins décontenancé et il préfère répondre : « Je vous avoue, madame Latour, n’avoir jamais envisagé mon fournisseur sous cet angle. Qu’entendez-vous exactement par “bonheur” ? » Il y a un léger silence, et Marie Latour finit par demander : « Puis-je vous montrer comment nos offres pourraient potentiellement vous faire réaliser des économies sur le long terme ? »
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