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« Désaimer », de Fabienne Brugère : vertige du désamour


« Désaimer. Manuel d’un retour à la vie », de Fabienne Brugère, Flammarion, 232 p., 21 €, numérique 15 €.

Est-ce parce qu’on voudrait ne jamais avoir à traverser les expériences auxquelles elle renvoie ? On oublie volontiers que L’Art d’aimer, du poète latin Ovide (43 av. J.-C.- 17 ou 18 ap. J.-C.), a eu une suite : Les Remèdes à l’amour, tournés non plus vers la ­plénitude, mais vers l’effondrement de l’expérience amoureuse. C’est à cet « art de désaimer », qui peut s’exercer aussi bien avec un compagnon ou une compagne qu’avec des enfants, des parents, des idées, un pays…, que Fabienne Brugère, professeure à l’université Paris-VIII, consacre son nouvel essai, ­Désaimer, un « portrait du désamour », qu’elle décrit comme un « processus », un « chemin réflexif ».

Aussi descriptive qu’analytique, la ­philosophe commence par explorer – dans la lignée des Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes (Seuil, 1977) – les signes annonciateurs que « quelque chose se joue », ces moments de « disjonction des vérités et des paroles » propres à la dispute, cette absence à soi et à l’autre qui caractérise l’ennui, ou encore l’assourdissante « défaite de l’amour » constitutive du silence. Tout en refusant de succomber à la tentation du pathétique, elle décrit sans euphémisme le « caractère ineffable de la perte ou du manque ».

A partir d’exemples empruntés à la littérature et au cinéma comme à son expérience personnelle ou à des discussions amicales, elle s’affronte aux sentiments de solitude et d’abandon, à la violence et à la colère – voire à la haine. Et si elle souligne que, loin d’être un choix, le détachement se révèle souvent « contraint, forcé par les événements de la vie », si elle signale qu’« il n’existe pas réellement de combat de la passion et de la raison, car la raison ne fait pas le poids », Fabienne Brugère rappelle néanmoins que la philosophie garde le pouvoir de consoler, par le simple secours de la compréhension.

Une révolution douloureuse

Surtout, grâce à son minutieux parcours philosophique, d’Epictète à Alain Badiou en passant par Spinoza, elle fait émerger la possible « révolution » portée par le désamour. Une révolution douloureuse, certes, mais le désordre intérieur et les détresses qu’il provoque permettent de mettre à nu les « illusions de l’amour-passion » entretenues depuis l’enfance, comme la désolante différence entre l’amour et le couple en tant que « système politique, social, familial, économique ». A la suite de bell hooks (1952-2021), qui en faisait, dans A propos d’amour (Divergences, 2022), un véritable « obstacle » au sentiment, c’est bien par l’impact de la « domination mas­culine » à l’œuvre dans les relations hétérosexuelles que l’autrice explique ces déséquilibres.

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Written by elitebrussels

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