On repense en roulant à la grande crise financière de 2008, qui avait notamment mis à genoux l’industrie automobile, pilier historique de l’économie du Michigan. Cet État de dix millions d’habitants, mais cinq fois plus grand que la Belgique (huit fois si l’on inclut la superficie des lacs), ne s’en serait pas remis si Barack Obama, qui venait à peine d’être élu, n’avait pas lancé un ambitieux plan de sauvetage du secteur – 30 milliards de dollars d’argent public rien que pour General Motors, en contrepartie d’une restructuration garantissant la viabilité de l’entreprise. Des centaines de milliers d’emplois directs et indirects ont probablement été sauvés.
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Des préférences variables
La reconnaissance a visiblement ses limites. Le Michigan a, certes, triomphalement réélu Barack Obama en 2012, mais avec une marge moindre face à Mitt Romney (10 %) que face à John McCain (17 %) quatre ans plus tôt. En 2016, toutefois, cet État du Midwest que l’on croyait enraciné dans ses traditions ouvrières et syndicales, et dès lors solidement bleu (la couleur du Parti démocrate), a créé la surprise en préférant Donald Trump à Hillary Clinton. Cela s’est joué à pas grand-chose, à peine 10 700 voix sur plus de quatre millions et demi, mais cela a suffi à pousser le Républicain vers la Maison-Blanche.
La présence d’un troisième candidat en 2016, Gary Johnson, l’ancien gouverneur républicain du Nouveau-Mexique qui se présentait sous les couleurs du Parti libertarien et a siphonné 173 000 voix, a éventuellement brouillé les cartes. Toujours est-il que Joe Biden est parvenu à remettre le Michigan sur les rails démocrates en 2020 en battant Donald Trump, et avec un écart de 154 000 voix. Une différence de moins de 3 %, c’est l’ordre de grandeur des victoires d’Al Gore et de John Kerry sur George W. Bush, mais cela demeure malgré tout très loin des performances de Barack Obama, ou de Bill Clinton.
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Une situation paradoxale
Il est vrai aussi qu’avant Clinton, le Great Lake State jetait plutôt son dévolu sur les candidats républicains. Richard Nixon, Gerald Ford (l’enfant du pays, qui fut pendant un quart de siècle le député de la circonscription de Grand Rapids), Ronald Reagan, George Bush père ont tous gagné ici. Il faut remonter à John F. Kennedy et Lyndon Johnson pour retrouver des Démocrates sur le pavois. Il n’est donc pas si étonnant que le Michigan soit aujourd’hui un de ces quelques “swing states” dont dépendra le résultat du 5 novembre. Un État “qui balance”, il l’a toujours été.
Il n’en reste pas moins que la situation dans laquelle se retrouve Kamala Harris est paradoxale. Grâce largement à l’aura de la gouverneure, Gretchen Whitmer, le Parti démocrate dispose de tous les leviers de pouvoir au Michigan depuis les législatives de mi-mandat en 2022 : Whitmer a été facilement réélue pour un second terme et les Démocrates sont désormais majoritaires tant à la Chambre qu’au Sénat de l’État. Harris, cependant, est donnée au coude-à-coude avec Trump. Or, si l’on considère que la vice-Présidente peut remporter la présidentielle moyennant un trio gagnant dans le Midwest (Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin, avec 19, 15 et 10 “grands électeurs” respectivement), une défaite dans l’un d’eux pourrait, inversement, suffire à ruiner ses chances.
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Le crucial vote musulman
Au Michigan, tout pourrait dépendre d’un unique facteur : l’électorat musulman, élargi aux citoyens d’autres confessions qui entendent sanctionner l’Administration Biden pour n’avoir pas pu empêcher la guerre à Gaza. Lors des primaires démocrates, en février dernier, plus de 100 000 participants ont refusé de voter pour le Président sortant (qui était alors encore candidat) et ont déposé plutôt un bulletin “uncommitted” (“non-engagé”). Le Michigan a la plus forte proportion d’Américains d’origine arabe du pays. Ils n’ont beau être que 200 000 (soit 2 % de la population) : dans un scrutin qui pourrait se jouer à quelques dizaines de milliers de voix près, c’est beaucoup.
Kamala Harris a manifesté plus d’empathie avec les Palestiniens que Joe Biden, mais cela n’a visiblement pas suffi à rallier les dirigeants de la communauté musulmane. Ceux-ci recommandent de voter pour Donald Trump, au motif qu’il se fait fort de ramener la paix au Proche-Orient, alors qu’il a récemment appelé le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, pour lui dire “qu’il pouvait faire ce qu’il voulait”. Plus vraisemblablement, c’est l’agenda “moral” des Démocrates (avortement, union homosexuelle, droits des LGBTQIA +…) qui dérange des leaders religieux de plus en plus conservateurs et intolérants.
Jeu de chaises musicales
Or l’issue de la présentielle n’est pas le seul enjeu. La décision de la sénatrice démocrate Debbie Stabenow de ne pas se représenter après quatre mandats de six ans a créé une situation dangereuse pour son parti en rendant le siège vacant et donc vulnérable, au moment où les Démocrates tremblent pour leur fragile majorité au Sénat. Mais elle est aussi à l’origine d’un jeu de chaises musicales encore plus risqué dans la mesure où c’est l’actuelle députée de la 7e Circonscription électorale, qui englobe la capitale, Lansing, Elissa Slotkin, qui s’est portée candidate pour succéder à Stabenow, rendant à son tour son propre siège vacant et vulnérable, alors que le Parti démocrate aspire à reprendre le contrôle de la Chambre des représentants. Les sondages prédisent des scrutins serrés. Du “pur Michigan”, en somme.