Bissap, ginger, thé glacé, limonade, cola… À la Brasserie {C}, à Liège, cela fait déjà plusieurs années qu’on ne se contente plus de brasser de la bière. Depuis 2021, l’équipe propose des sodas artisanaux en bouteille, et depuis 2023 du cola. Une journée par semaine est dédiée à la fabrication de cette gamme de boissons sans alcool. C’est qu’à l’heure où la consommation de bière en Belgique a chuté de 5,8% en 2023 et où les exportations suivent la tendance avec une baisse de 7,5% (selon le dernier rapport de la Fédération des brasseurs belges), quand on est brasseur mieux vaut se diversifier. Et pour plusieurs d’entre eux, cela passe désormais par le brassage de sodas !
Vers une consommation plus locale et responsable ?
“Tout le monde brassicole belge est impacté par cette diminution de vente”, constate Kérian Laverdeur, responsable des relations publiques pour la Brasserie {C}, qui observe également une production de bières artisanales plus importantes aux quatre coins du monde, concurrence directe aux bières belges, en parallèle d’une tendance globale à une consommation plus locale, mais aussi plus responsable.
“On constate que les jeunes (25-30 ans) consomment de moins en moins d’alcool. C’est intéressant, parce que ça démontre une réelle réflexion autour de la consommation d’alcool. Mais c’est moins intéressant évidemment pour un producteur de bière, rit-il. On essaye de se diversifier sur une gamme non alcoolisée, avec des boissons funs pour l’apéro, à boire telles quelles ou en mocktail.”
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L’importance de se diversifier
La crise du Covid n’y est pas pour rien. “Cette envie de créer pendant une période très calme où on a senti qu’il fallait ne pas laisser tous ses œufs dans le même panier et qu’il fallait se diversifier pour peut-être survivre et en tout cas ne pas subir les crises comme on les a subies”, se rappelle Renaud Pirotte, cofondateur de la Brasserie {C}.
“Il y avait cette volonté, un peu comme on l’a fait pour le monde brassicole il y a maintenant 20-30 ans, de révolutionner un peu le monde du soft, dans le sens où le soft était et est toujours prédominé par des grandes marques industrielles. Il n’y a pas vraiment d’alternative artisanale et locale, ou en tout cas il y en avait très peu il y a trois ans”, ajoute Kérian.
Et tout comme en 2012 avec le lancement de la première bière Curtius, pas question pour les deux fondateurs de faire les choses à moitié – ni comme les autres – avec les softs. Les premiers softs de la gamme intitulée “S{Õ}WA” pour soda wallon (ce qui signifie aussi “l’autre jour” en bambara, langue du Sahel), sont fabriqués à base d’ingrédients fournis par des associations africaines. “Nous travaillons avec des coopératives en Afrique pour certains de nos ingrédients, comme l’hibiscus du Sénégal ou le thé noir du Rwanda”, explique Kérian. Ce partenariat permet de soutenir les communautés locales tout en assurant des produits de haute qualité. “C’est important pour nous que tout ait du sens, que ce soit au niveau des ingrédients ou de la manière dont ils sont produits.”
De quoi s’amuser aussi en termes de saveurs plus fines à base d’infusion d’hibiscus ou encore de limonades artisanales moins sucrées qui misent sur une acidité naturelle et franche. Et puis, il y a un an tout juste, arrive le fun et coloré Paola, marketé “le cola des Belges”. Il est composé de sucre de betterave de Hesbaye, de sirop de Liège mais aussi d’une touche de citron vert, made in Belgium, de nouveau.
“Beaucoup trop de brasseries se sont créées en Belgique et en France ces dernières années”
Un pari osé. Sur un marché dominé par les géants tels que Coca-Cola Company, encore faut-il réussir à se faire une place, et surtout convaincre les distributeurs. “Ils étaient assez sceptiques au début, se rappelle Kérian. Quand on a débarqué avec Sowa, puis Paola, il a fallu les convaincre de miser sur l’avenir.”
C’est qu’aux quatre coins de la Belgique, l’effervescence se fait sentir pour des boissons artisanales sans alcool, d’abord (et comme toujours) dans la capitale précurseur, puis en Wallonie. “Aujourd’hui, on voit que ça paye ! Les distributeurs reviennent vers nous, les commandes augmentent assez bien”.
Et c’est peu dire. “Aujourd’hui, ça représente grosso modo 10% de notre production totale, indique Renaud Pirotte. Mais en trois ans à peine, en essayant, en cherchant les recettes. On sent un coup d’accélérateur très important sur 2024 et on sait que l’année prochaine, cela représentera bien plus que 10%.”
Si ce type de produits se retrouvait d’abord sur les tables de quelques bars et restaurants de niche, on les retrouve aujourd’hui aussi dans les supermarchés et dans les bars des festivals.
Une production “facile”
Du côté de la production en tant que telle, quoi de mieux qu’une brasserie pour brasser des hectolitres de softs ? Tout est déjà sur place. “On a profité de notre déménagement de la Fabrique, ici, rue des Steppes, dans le quartier de Corommeuse (Liège), en 2020 pour acheter quelques équipements spécifiques pour réaliser des limonades et des jus. On a ajouté quelques petites adaptations, tel l’ajout d’un pasteurisateur pour garantir la microbiologie de la limonade, plus sensible que celle de la bière, qui a déjà été fermentée”, explique l’agronome.
D’ailleurs, les métiers sont assez similaires, commente-t-il. “C’est même un peu plus facile de faire des sodas que de la bière, comme il n’y a pas toute l’étape de fermentation qui est très complexe. Donc, finalement, ça s’est avéré être un jeu d’enfant, mais il fallait surtout parvenir à trouver les justes goûts, les justes recettes qui plaisent au plus grand nombre.”