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Un an après l’accord de paix en Ethiopie, la guerre sans fin


Un char abandonné qui aurait appartenu à l’armée érythréenne au sud-ouest de Mekele, la capitale régionale du Tigré, en juin 2021.

Quelle a été la guerre la plus meurtrière depuis vingt ans ? Ce n’est ni celle en Afghanistan, ni en Irak, ni en Ukraine, ni le conflit Israélo-palestinien ou bien même celle qui secoue la République démocratique du Congo. Celle-ci se déroule en Ethiopie et a commencé en novembre 2020. Elle est affublée du nom d’« opération du maintien de l’ordre constitutionnel » le goût pour les euphémismes est devenu viral – et se serait soi-disant terminée par un accord de paix signé à Pretoria, en Afrique du Sud, le 2 novembre 2022.

Pourquoi cette guerre a-t-elle éclaté ? Parce que la Constitution éthiopienne de 1994 avait tenté de résoudre l’un des problèmes généraux de l’Afrique : le « tribalisme ». L’article 39 autorisait la sécession d’une province après référendum.

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En 1991, la lutte pour renverser le régime communiste, le Derg [Comité militaire d’administration provisoire] du sinistre Mengistu Haïlé Mariam, s’était terminée par la victoire de la guérilla tigréenne, dont le leader Meles Zenawi assuma le pouvoir. Il mourut d’un cancer en 2012 et le pays se retrouva gouverné par un membre de son mouvement jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 2018 d’Abiy Ahmed, homme du sérail promu sans élection mais affublé en 2019 d’un prix Nobel de la paix qui s’avéra bientôt peu mérité.

Lorsque les Tigréens se retirèrent du pouvoir et procédèrent dans leur province à des élections locales qui n’étaient pas un référendum d’indépendance, le nouveau premier ministre traita cette élection d’un pouvoir provincial comme une tentative de sécession. Il attaqua le Tigré avec l’aide de l’armée érythréenne venue maintenir un ordre constitutionnel qui n’avait pourtant pas été violé.

Le cadavre noir est très léger

Or, depuis maintenant presque un an, aucun des termes de l’accord n’est respecté et surtout pas celui concernant l’évacuation des troupes érythréennes du territoire éthiopien. A Pretoria, il n’y avait ainsi aucune présence érythréenne même en tant qu’observateurs, alors que le plus gros des troupes sur le terrain était en fait celles envoyées par Isaias Afwerki.

Les Nations unies et la communauté internationale ont ainsi accepté de parrainer un traité de paix où l’un des principaux acteurs du conflit était absent. Vint ensuite l’évaluation du nombre des victimes, chiffrées selon les sources entre 450 000 et 600 000. L’incertitude des chiffres est autant révélatrice de l’inadéquation des moyens d’évaluation des pertes que du peu d’intérêt pour les victimes elles-mêmes.

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Alors où en sommes-nous ? L’Ethiopie n’est pas une nation mais un empire qui englobe au moins cinquante peuples. Jamais colonisé par les Européens – les troupes de Mussolini y sont restées moins que les Allemands n’ont occupé la France –, l’empire, vieux de deux mille ans, est passé en quarante ans d’une véritable révolution socialiste au stalinisme militaire russe puis à une centralisation capitaliste tenant d’une main la Chine et de l’autre les Etats-Unis pour aboutir à un essai de dictature « développementaliste » qui, après avoir « fini » une guerre « d’unité nationale », n’arrive plus à échapper au piège qu’il a lui-même fabriqué.

L’attitude de la communauté internationale vis-à-vis de cette guerre menant à un traité de paix où l’un des principaux belligérants est absent depuis l’ouverture des négociations est typique de la manière dont les conflits africains sont considérés. La mort d’un Noir vaut moins que celle d’un Blanc (*) et les cadavres éthiopiens d’une guerre qui a compté au moins quatre fois autant de pertes que la guerre en Ukraine en sont une preuve de plus.

Désagrégation d’un Etat ?

Dans le décompte des voix concernant la motion des Nations unies sur l’invasion de l’Ukraine en mars 2022, l’Ethiopie s’était absentée du vote pour maintenir alors sa propre « Opération militaire spéciale » dans un brouillard calculé. L’ONU a depuis paraphé un accord dont la réalité demeure fantomatique et qui a muté entre-temps dans une nouvelle guerre dont les acteurs ont changé.

En effet, les milices amhara des Fano, qui avaient pris part aux côtés de l’armée fédérale à la guerre contre le Tigré et n’étaient pas présentes lors de la « négociation de paix », ont entre-temps abandonné leur alliance avec le gouvernement pour lancer leur propre OPA sur le pouvoir installé à Addis-Abeba. Les forces du mouvement dissident de l’Armée de libération oromo, elles aussi alliées du gouvernement (**), se sont retournées contre le pouvoir.

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Dans ce contexte, quelques questions s’imposent : y a-t-il encore un accord de paix ? Et si oui, quelle est la position de la communauté internationale qui a entériné un « traité de paix » qui n’a pas mis fin à la guerre ? Sommes-nous en train d’assister à la désagrégation d’un Etat impérial dont les entités constitutives sont en train de se séparer ?

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Noyée sous la prolifération de conflits vis-à-vis desquels elle n’a plus de réelle influence, l’ONU est-elle en train de laisser la situation se dégrader considérant qu’elle n’a pas grand-chose à perdre à négliger une « guerre africaine », même si elle a passé le demi-million de victimes ? L’Afrique a toujours su quelle était sa position réelle dans l’échelle des priorités internationales.

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On se rappelle le commentaire en off de François Mitterrand au lendemain du génocide des Tutsi au Rwanda lorsqu’un journaliste lui demandait s’il fallait craindre un second génocide après la prise de pouvoir du FPR et qui avait répondu dans un aparté symptomatique : « Oh, vous savez, dans ces pays-là, un génocide…  » La phrase non terminée en disait long sur son appréciation de la situation rwandaise, mais aussi sur la vision occidentale de l’Afrique.

Le « traité de paix » de Pretoria est un nouvel exemple du poids réel des pays africains dans les affrontements dont leur continent peut se trouver le théâtre. L’hypocrisie qui noie la fin de cette guerre qui ne parvient pas à s’achever est un (tout petit) exemple supplémentaire de l’effondrement du système diplomatique mondial.

(*) Cadavres noirs, de Gérard Prunier (éd. Gallimard, collection Tracts. Paris, 2021).

(**) Abiy Ahmed est lui-même oromo, donc la rupture n’est pas due à un problème ethnique.



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